l’Univers Musical - 22 mai 1862
- Article signé A. De Catalan :

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C’était en 1848 à Villers-Cotterêts, un beau pays tout plein d’ombrages
et de fraîches senteurs ; Alexandre Dumas avait chassé en forêt toute
la journée avec ses amis de là-bas. Demandez-lui comme on s’en donnait
à cœur-joie en s’élançant dans les fourrés ! comme on déjeunait
de grand appétit dans les haltes sous bois, au milieu des rires et des
lazzis de ce bon temps de chasse ! Trois chevreuils avaient été abattus
ce jour là, tous trois de la main du grand chasseur, qui manie aussi
bien le fusil que la plume, au dîner qui réunissait les amis à la fin
de la journée, je remarquai un homme jeune dont la physionomie pensive
et le front pur révélait l’inspiration : c’était Auguste Maquet – (1)
On me dit que les deux émules travaillaient aux premières scènes du
Comte Hermann – Notez que le Comte Hermann ne fait rien à mon histoire.
Alexandre Dumas était étincelant de verve et se grisait de sa gaieté.
Une sérénade avait été organisée par le chef de musique de la ville et
les virtuoses du canton faisaient merveille sous les fenêtres.
Tout à coup le digne chef de la bande, instrumentiste au dehors,
commensal au dedans, débouche par la porte entr’ouverte et s’approcha
de notre grand romancier. Il tenait par la main un jeune garçon à
la mine éveillée, portant sous son bras un petit violon et
roulant dans ses doigts un archet qu’il frottait de colophane.
Dumas, en voyant l’enfant sourit de son de son sourire cordial ; puis, s’adressant à la société :
- Un virtuose du cru, messieurs ! s’écria-t-il, silence dans les rangs !
Et voilà que, sur un geste du maître, le petit musicien exécute une
fantaisie de Bériot et mille variations ardues, avec l’aplomb et la
sureté d’un grand violoniste.
Je vous laisse à penser les bravos et les chaudes accolades qui accueillirent l’enfant prodige.
Alexandre Dumas, qui était émerveillé ; l’attira à lui et, le soulevant dans ses bras :
- Messieurs, s’exclama-t-il en s’adressant à
l’auditoire qui s’était augmenté de tous les musiciens de la sérénade,
je vous présente un futur grand prix du Conservatoire.
Puis, s’approchant de l’heureux père qui cherchait à dérober son émotion derrière ses camarades :
- Mon cher Willaume, lui dit-il, je me charge de
l’avenir musical de votre enfant ; il aura sa place au conservatoire et
je ne doute pas qu’il ne se distingue un jour au grand honneur de notre
ville bien aimée. »
(à suivre)
(1) principal collaborateur d’A Dumas
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